Christèle Selliez-Vandernotte

Corps à corps

Si la pratique de Christèle Selliez-Vandernotte prend principalement pour sujet le corps, il n’est pas pour autant charnel, sensuel ou érotique. Toutefois, il ne perd pas sa substance car l’artiste le considère dans toute sa matérialité, elle le met à l’épreuve, cherche à questionner ce qui conditionne ses actions, ses processus de réalisation et ses impuissances.

Pour cette jeune artiste, le corps est éminemment social : il s’inscrit dans une histoire, des traditions, il est un marqueur qu’elle interroge, lors d’actions artistiques qu'elle associe souvent à un travail d'écriture, de photographie et d'installation.

Le bbb expose un ensemble d’œuvres représentatives de sa démarche dont Wakouwa qu’elle qualifie de « tableau vivant ». La chorégraphie binaire que joue l’artiste est une référence directe au jouet qui donne son nom à cette action : un pantin en bois composé d’une base sous laquelle se trouve un bouton poussoir, auquel est relié une figurine qui se désarticule à chacune des pressions exercées par le pouce sous le socle. Cette action trouve aussi son origine dans la pratique du butô, danse d’origine japonaise à laquelle Christèle Selliez-Vandernotte a été initiée et dont elle retient tout particulièrement la conscience d'une dualité interne, l'expérimentation des limites du corps, segments par segments, ainsi que la relation entre matière corporelle et sonore. Juchée sur un socle, genoux contre le poitrail, bras ballant, l’artiste se déploie dans un sursaut énergique, un bras tendu, le poing serré. Son corps, comme un instrument, émet un cri profond lorsque le souffle se tarit dans cette position martiale… puis il retombe dans sa posture initiale. L’action se répète, l’artiste tremble sur son étroit piédestal, son visage rougit sous l’effort. Dans cette œuvre, Christèle Selliez-Vandernotte recherche le contrôle de son corps, la maîtrise de sa respiration et pose la question centrale dans sa pratique : l’objectivation du corps par sa théâtralisation et son entrée dans l’espace muséal.

Une autre œuvre, Salon de la conquête, expose le personnage archétypal d’une femme d’intérieur entourée des bibelots qui pourraient composer la décoration de son salon. L’artiste subvertit ce cliché et propose une réflexion sur l’impuissance d’agir en mettant en scène une femme figée dans un geste qui n’aboutira jamais. Elle tient un râteau verni destiné aux fins stratèges, prête à déplacer l’un des colifichets qui ornent une table de salle à manger, échiquier de ses desseins. De quelle conquête s’agit-il ? Conquête de la femme dans une société patriarcale pour affirmer sa capacité de décision, son autonomie? Conquête amoureuse ? Conquête culturelle ? Avatars des modèles culturels ancrés dans nos sociétés, ces bibelots forment le panorama des vestiges de cette bataille symbolique rejouée par la femme au sein de l’espace sensible qu'est le logis. La posture de cette femme, son geste arrêté, déterminé, énonce le paradoxe impossible du contrôle absolu.

Les œuvres Emballée, elle bulle au soleil et Maquillée, Gloria jubile avec la reine sont des photographies imprimées, format carte postale, laissées à la disposition du visiteur. Emballée, elle bulle au soleil a pour sujet une réplique miniature de la statue de la liberté entourée de papier bulle. Maquillée, Gloria jubile avec la reine montre une personne âgée de profil, probablement assise dans son salon, portant le drapeau britannique, l'Union Jack, dessiné sur la joue.

Les deux photographies reprennent des symboles identitaires forts inscrits au corps du sujet mis doublement à distance : Par leur mise en situation cocasse et par la distance formelle de la prise de vue. Permettre au visiteur d’en prendre possession sous la forme d’une carte postale exprime bien le choix de l’artiste d’inviter le spectateur à sa propre interprétation.

Une autre facette des recherches artistiques de Christèle Selliez-Vandernotte porte sur les archives et le catalogage. Photographie des publics et Idéal d’archive en sont l’illustration.

Photographie des publics est une analyse des relations entre spectateurs, espaces d'expositions et programmations culturelles. Son geste artistique consiste à s'approprier et à rediffuser tel quel, un sondage réalisé par le Centre national d'art et de culture Georges Pompidou et la Bibliothèque publique d'information sur une période donnée. Un instantané de la composition du public d’un musée qui est partial et lacunaire tant les réponses posées aux visiteurs sont fortement orientées par la contrainte du choix multiple qui fausse entièrement la démarche. Aucunement dupe de ces méthodes d'enquête, l’artiste se réapproprie les données pour en faire une œuvre d’art qui révèle les qualités d’une fiction.

Idéal d’archive est composé d’un meuble d’archives duquel une voix féminine émane. Ce dispositif met en scène l’opposition entre la rigidité, la froideur du meuble administratif de classification et de fichage avec la chaleur, l’humanité et la douceur de la voix féminine qui s’en échappe. La voix énumère les conditions idéales de conservation et de consultation des archives invitant le public à projeter ces modalités sur le meuble qui se trouve devant lui. Par ce mécanisme, l’artiste donne une matérialité, une certaine humanité et un corps aux archives tout en gardant présent la fonction administrative et potentiellement totalitaire du meuble.

Le travail de Christèle Selliez-Vandernotte est d’une grande cohérence. Il pose des interrogations essentielles : le corps-objet, l'action potentielle, le conditionnement du geste, l'identité, le contrôle, la classification... Autant de sujets qui mettent l’individu et la société au cœur de sa pratique artistique. Elle se livre sans ménagement à un corps à corps avec les questionnements qui fondent ses préoccupations d’artiste.

Églantine Belêtre, critique d'art

_ texte commandé dans le cadre de « Première 2013 », une exposition collective et un catalogue coproduits par le centre d’art contemporain de Meymac et BBB centre d’art - 2014

_ en partenariat avec les Écoles nationales supérieures d'art de Bourges et Limoges, l'École supérieure d'art de Clermont Métropole et l'Institut supérieur des arts de Toulouse