Golnâz Pâyâni

Cristalliser les souvenirs

Artiste pluridisciplinaire, Golnâz Pâyâni développe un langage plastique d’une grande finesse et poésie. Collectant et cristallisant les traces du temps et des souvenirs évanescents, elle opère une sensible archéologie de la mémoire. La jeune diplômée œuvre à figer le temps comme pour maintenir vivace le fil fragile du souvenir en rassemblant soigneusement les morceaux épars d’une mémoire fragmentée et diffuse. Dans la vidéo Etoile (2012), l’artiste tente de figer les émotions et les sensations d’émerveillement et d’enchantement qui se lisent sur les visages des spectateurs d’un mystérieux évènement. Ces visages apparaissent et disparaissent dans un jeu de présence-absence, qui renvoie à notre difficulté à fixer durablement dans la mémoire les souvenirs furtifs d’une émotion. À travers la dissolution des images, l’artiste interroge la disparition des souvenirs comme dans Sans titre (2011). Composée d’une photographie imprimée sur un voile éclairé par une forte source de lumière issue d’un projecteur de diapositives, cette installation sonde l’histoire de la photographie et son exigence à fixer le temps, comme une preuve indélébile du « ça a été ». Notre difficulté à voir l’image du fait de sa dissolution dans le tissu traduit le passage du temps et avec lui la disparition de la mémoire. Cette œuvre se vit comme une expérience sensible autour de la perception du temps, de l’image et de la mémoire, sa construction comme sa disparition. Avec sa Série de moulages de cadres de photos (2013), Golnâz Pâyâni continue d’interroger la photographie dans son incapacité à garder un souvenir. Cette série fonctionne comme une mise en abîme de l’utilité du cadre qui est de conserver une trace. Poursuivant sa quête de cristallisation du temps, l’artiste d’origine iranienne s’intéresse au vêtement comme porteur de mémoire dans la série de vêtements fossilisés dans la porcelaine, Sans titre (2013). Les porcelaines conservent une trace du vêtement dissous lors de la cuisson, comme une métaphore de l’absence-présence du corps. La fragilité de la porcelaine renvoie à la fragilité de nos existences humaines et la dissolution du vêtement symbolise quant à elle la dissolution de nos souvenirs. Dans L’Image Temps, Gilles Deleuze écrit « La mémoire n’est pas en nous, c’est nous qui nous mouvons dans une mémoire Être, dans une mémoire monde » 1. Nous retrouvons cette notion de mémoire monde dans le Jardin du raisin (2013). Ce documentaire fiction suit le quotidien d’une famille iranienne vivant dans un cimetière. Dans ce lieu de mémoire où le temps est supposé figé dans l’éternité, vit une famille qui se nourrit des fruits offerts par la terre du cimetière. L’espace funéraire s’impose alors comme un lieu de vie et une terre fertile. Cette œuvre d’une grande poésie nous invite à une réflexion sur le temps et le cycle de la vie où le passé nourrit le présent, où de la mort naît la vie.

Sonia Recasens, critique d’art

_ texte commandé dans le cadre de « Première 2013 », une exposition collective et un catalogue coproduits par le centre d’art contemporain de Meymac et BBB centre d’art - 2014

_ en partenariat avec les Écoles nationales supérieures d'art de Bourges et Limoges, l'École supérieure d'art de Clermont Métropole et l'Institut supérieur des arts de Toulouse

1 Gilles Deleuze, Cinéma 2, L’Image Temps, Paris : Éditions de Minuit, 1985, p.129


 

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